Centre d'études et de recherches sur la vigne et le vin en Sciences humaines
De 2005 à nos jours, un CERVIN associatif
En cours de rédaction
2005 le grand tournant à la MSHAquitaine
L'année 2005 marque un tournant fondamental pour le CERVIN qui subit la réorganisation de la recherche universitaire et disparait en tant qu'équipe d'accueil, ses chercheurs étant intégrés à l'UMR ADESS, regroupement de la quasi-totalité des géographes de Bordeaux 3. Souhaitant faire vivre le potentiel de recherche du CERVIN en l'ouvrant à d'autres disciplines, quelques-uns de ses anciens membres se réunissent à la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine pour créer une association dénommée GEOVIN dans un premier temps, puis retrouvant le nom de CERVIN ensuite.
Vendre le vin de l'Antiquité à nos jours 2009
PPF 2007-2010 « La construction sociale des terroirs des vins de qualité »
Développement durable de la filière et des territoires viticoles
(Partie C du projet ISVV- 2007-2011)
2010, l'installation à l'ISVV
L'ISVV Bordeaux-Aquitaine (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin) est inauguré en 2009. Dans le cadre de la politique de documentation des universités de Bordeaux, la bibliothèque de l'ISVV a accueilli celle du CERVIN jusqu'alors implantée à la MSHAquitaine.
Dès son ouverture, l'Institut héberge des chercheurs du CERVIN. En effet, en la personne de son directeur, Philippe Roudié a représenté l'Université Boreaux-Montaigne dès les premiers instants du projet d'Institut bordelais des Sciences de la Vigne et du vin. Ainsi le CERVIN fait parti du groupement de laboratoires constitutifs du futur institut. Commence alors une collaboration avec les unités de recherche de l'établissement qui se poursuit de nos jours.
2011-2015 La qualité des vins de Bordeaux, ses acteurs et ses marqueurs : la formation de « l’Ecole Bordelaise » des Sciences de la vigne et du vin
Programme ADES – CERVIN – ISVV 2011-014 remis à la Région par le CERVIN en 2015
Porteur de projet : Hélène Vélasco-Graciet
Participants : ADESS-Cervin : Jean-Michel Chevet, Nathalie Corade, Jean-Claude Hinnewinkel, Valérie Kociemba, Michel Réjalot, Hélène Vélasco-Graciet.
Partenaires nationaux : Institut des Sciences de la Vigne et du Vin
Partenaires internationaux : Chaire Unesco « Culture et traditions du vin », Dijon
Budget : 25 600 Provenance des financements : Région Aquitaine, Université Bordeaux-Montaigne, Cervin & Chaire Unesco Dijon
Date de début : 2011
Date de fin : 2015 (report d’une année accordé l’ISV
Présentation du programme
L’objectif principal du programme est une analyse géographique de la crise actuelle des vins de Bordeaux. Derrière l’interrogation sur les fondements de cette crise nous retrouvons les réflexions sur la durabilité de terroirs viticoles fondés sur une représentation de vins de qualités.
L’écriture, encore en cours, de la trajectoire des vins de qualité en Bordelais est donc apparue comme le cœur de notre réflexion. Dans ce cadre la thèse d’une révolution de la qualité des vins en Bordelais aux XVIIème et XVIIIème siècles (Henri Enjalbert et de René Pijassou) est déconstruite et fermement remise en cause. L’analyse systématique des ouvrages scientifiques anciens comme des archives disponibles dans certains châteaux permet de mettre en valeur, pour le vignoble bordelais, une continuité dans la durée de la quête de vins de qualité répondant aux demandes des consommateurs depuis au moins le Moyen-âge jusqu’à nos jours sans discontinuer.
Pour mener à bien nos travaux nous avons multiplié les entretiens avec les principaux acteurs de la qualité des vins de Bordeaux au cours du dernier demi-siècle. Une comparaison avec la Bourgogne nous a permis de prendre un peu de recul tout en favorisant une réponse positive à l’interrogation de la spécificité de l’Ecole bordelaise des sciences de la vigne et du vin concrétisée aujourd’hui par l’existence de l’ISVV.
Les résultats
La comparaison menée entre Bordelais et Bourgogne qui a débouché en juin 2013 sur le colloque
« Les itinéraires de la qualité des vins (Moyen Âge-XXIe siècle) »
paraît souligner des parcours technologiques très similaires au-delà de représentations qui peuvent apparaître divergentes (vins de « grands châteaux » bordelais contre vins de « petits » vignerons bourguignons) mais que l’analyse a considérablement rapprochés. La quinzaine de communications met en exergue le long continuum de l’Antiquité à nos jours d’une recherche constante de l’amélioration de la qualité des vins pour une meilleure valorisation.
(Voir ci-dessous dans « manifestations organisées »)
Par ailleurs l’interrogation sur les fondements de la typicité des vins a donné lieu à trois séances de concertation entres agronomes, géographes, historiens et œnologues au cours desquelles ont été accueillis JC Berrouet (œnologue de Petrus), Kees Van Leuven (professeur de viticulture à l’ENITA) et Jacques Blouin (ancien directeur du service vins de la Chambre d’Agriculture de la Gironde). A chaque occasion ont été soulignés, au travers de dégustations, les déterminants de tel ou tel vin issus de sites viticoles distincts. La suite des séances programmées en 2014 s’intéressera au bilan hydrique des sols viticoles et aussi aux déterminants sociaux de la qualité des vins.
La concertation qui s’est poursuivie les mois suivants a donné lieu à la rédaction d’un deuxième ouvrage,
« Vins et vignobles de Bordeaux – Les itinéraires de la qualité »
Cet ouvrage rassemble les analyses de chercheurs bordelais sur les itinéraires de la qualité des vins de Bordeaux du Moyen âge à nos jours, mettant en valeur la constitution d’une école bordelaise.
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Louis Bordenave (UMR EGFV – INRA – ISVV) ampélographe à l’Inra de Bordeaux, conservation des ressources (collections), génétique, amélioration et création variétale. Relations avec la profession.
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Jean-Michel Chevet (UMR ADESS – ISVV – Cervin), historien du monde rural et des techniques du Moyen Âge à nos jours. Il s’intéresse plus particulièrement, en ce moment, à l’évolution de la vitiviniculture bordelaise et à la formation des prix des vins de Bordeaux.
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Jean-Pascal Goutouly (UMR EGFV – INRA – ISVV) docteur en sciences agronomiques, ingénieur de recherches à l’Inra de Bordeaux, écophysiologiste. Ses travaux actuels concernent les impacts des facteurs naturels sur la croissance de la vigne et la qualité du raisin.
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Jean-Claude Hinnewinkel (UMR ADESS – ISVV – Cervin) professeur émérite de Géographie à l’Université Bordeaux-Montaigne, ancien directeur du CERVIN (2003-2007), chercheur à ADES. Géo historien, ses publications portent sur la construction des terroirs viticoles, leur gouvernance et le fonctionnement des organisations professionnelles qui les portent.
Avec la participation de
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Jean-Claude Berrouet, œnologue - consultant, ancien directeur technique des Etablissements Jean-Pierre Moueix, négociant à Libourne et vinificateur du prestigieux domaine de Pétrus de 1964 à 2008. Depuis 1983 il est consultant pour la NAPPA VALLEY aux ETATS UNIS. Retraité depuis 2008 il est consultant pour la Maison MOUEIX en POMEROL, en SAINT EMILION. Il conseille les vins Gérard BERTRAND en CORBIERES. Il est également consultant officiel d’ISRAEL pour la viticulture comme du Ministère de l’Agriculture chinois pour la culture de la vigne et la vinification. Il est propriétaire de 3 domaines à MONTAGNE SAINT EMILION, POMEROL et IROULEGUY.
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Denis Dubourdieu, directeur-fondateur de l’ISVV, est à la fois un scientifique et un praticien de la vigne et du vin. Agronome de formation, Professeur d'Œnologie à l'Université de Bordeaux depuis 1987, il a développé ses activités de recherche dans le domaine des levures, des arômes et des colloïdes. Il est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de la vinification et de l'élevage des vins blancs. Les travaux de son équipe ont aussi largement contribué à améliorer la connaissance de l'arôme des vins rouges. Simultanément, Denis Dubourdieu est vigneron et vinificateur dans ses vignobles familiaux et conseiller de nombreux producteurs en France et à l'étranger. Son style, marqué par une grande pureté aromatique, préférant la complexité à la puissance, se reconnaît dans ses vins.
A partir de ces différents contributions, les auteurs ont questionné « L’âme des vins de Bordeaux ».Au-delà de l’origine, au-delà des qualités organoleptiques, quelles sont aujourd’hui qualités propre au vin de Bordeaux, quelle est la typicité d’un vin de Bordeaux au sein d’un marché où de plus en plus de vins sont sans défauts ? Est-ce un vin de terroir et donc pour Bordeaux, un vin d’assemblage à cause de la diversité des sols de chaque cru, à cause de la variabilité du climat…. Est-ce à l’instar de beaucoup d’autres vins du Monde, un vin technologique s’émancipant de son origine pour répondre à un goût, souvent boisé, qui serait celui préféré par les nouveaux consommateurs ? Formulée ainsi la question trouve aisément se réponse dans l’histoire du vin de Bordeaux qui permet de dégager les principaux piliers de cette âme du bordeaux.
Les piliers des vins de Bordeaux
Si l’on suit notre chapitre 1 « Terroirs et qualité des vins, un lien à l’origine. Mais quelle origine ? », le terroir est déterminant pour définir le caractère et le style des vins de Bordeaux.
Le terroir
Sur un bon site viticole, celui qui seul permet de réaliser un « grand vin », les hommes ont tout long des siècles affinés leurs pratiques pour produire un vin en recherchant la finesse, l’élégance, la capacité au vieillissement. Mais malgré toutes ses qualités, un bon site n’est pas suffisant comme voudraient le faire croire un grand nombre de viticulteurs notamment bordelais. Des pratiques viticoles adaptées, une taille équilibrée et, bien sûr, une vinification et un élevage minutieux sont tous des facteurs importants qui interviennent dans l’élaboration d’un grand vin de Bordeaux. Le témoignage n°9, celui de à Jean-Claude Berrouet est à cet égard parfaitement révélateur.
En définitive, c’est l’homme qui révèle les potentialités d’un site viticole. Dans une même propriété, différentes parcelles composant un même site demande une gestion différenciée pour donner le meilleur d’elles-mêmes. Le facteur humain, lié à une connaissance profonde de ces sols viticoles et de leur fonctionnement devient un élément incontournable. Ainsi des vins médiocres issus de bons terroirs mal travaillés côtoient parfois dans un même salon des bons vins provenant de terroirs «médiocres ». Le site viticole est la base incontournable de la qualité d’un vin mais la capacité du vigneron est déterminante tout comme l’est celle de la communauté vigneronne pour la définition de l’appellation qui en détermine la typicité liée à l’appellation. Nous retrouvons là bien sûr la composante sociale du terroir, véritable marque collective d’un groupe de producteur.
Cette intervention humaine se lit tout particulièrement dans la sélection progressive des cépages tout au long de l’histoire du bordeaux. (Chap 2 « Encépagements du vignoble de Bordeaux de l’antiquité à nos jours »). Lors de la création de l’AOC, à partir de 1936, le choix des cépages confirme leur adaptation aux sites viticoles afin de les exploiter au mieux pour produire un vin de qualité constante. Cela s’est traduit par une uniformisation et amélioration significative de l’encépagement. Dans la plupart des décrets de 1936, les cahiers des charges bordelais prévoient que : « Tout remplacement de vignes par des cépages accessoires est dès à présent interdit » (décret 11/09/36 pour les Côtes de Bourg). Dans cette appellation le Malbec qui dominait autrefois (50% en 1886, 10% aujourd’hui) étant jugé de qualité inférieure car trop productif avec des problèmes de maturité, d’une sensibilité plus grande à la coulure, au mildiou et à l’oïdium est remplacé par le Merlot qui domine aujourd’hui.
Ces mêmes cahiers des charges ont également défini des règles communes de production acceptées par tous les acteurs, reconnues aujourd’hui par les consommateurs : titre volumétrique minimum naturel acquis, rendement de base à l’hectare, densité de plantation et espacement des pieds, méthode de la taille puis, plus tard, les conditions de l’agrément et de l’étiquetage. La mise en place des AOC est donc une première définition officielle de ce que doivent être les vins de Bordeaux. Celle-ci est certes une définition à minima mais elle repose sur les savoirs scientifiques de l’époque, tels que nous les retrouvons dans notre chapitre 3 «Des pratiques empiriques aux pratiques scientifiques ».
Les savoirs et leurs appropriation
La viticulture bordelaise s’est mise en place dès le premier millénaire de notre ère, voire avant. Certes notre documentation est plus que rudimentaire avant la fin du Moyen Age. Il est donc hors de question de s’aventurer dans des conjectures non vérifiables. Cependant, ce qui est vrai de la viticulture de la fin de cette période doit l’être bien avant. Comme nous l’avons proposé tout au long de cet ouvrage l’histoire de la vitiviniculture est plus « continuiste » qu’il n’y parait à beaucoup de promoteurs de « révolution ». Nous n’avons pas observé de « rupture » brusque, mais, une suite de petits ajustements, de petits changements, de petites améliorations qui, progressivement, changeront la face des vins bordelais (chapitre 3).
Il en fut de même pour la vinification, au moins jusqu’aux travaux de Pasteur, véritable initiateur de la science œnologique et plus largement jusqu’aux lendemains de la seconde guerre mondiale avec l’émergence d’une « Ecole d’œnologie bordelaise ». Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Denis Dubourdieu souligne l’importance des recherches pour lutter contre les défauts des vins tout en jetant le discrédit sur ces méthodes non bordelaises que sont le chauffage de moût et le trempage de bois, fussent-ils de chêne. Les critères de qualité d’un bordeaux s’affinent au cours du dernier demi-siècle en même temps que les travaux de l’INRA mettent l’accent sur une viticulture de précision capable de proposer aux maîtres de chais un raisin sain en économisant l’environnement (chapitre 3).
Et, contrairement aux siècles précédents où la diffusion des savoirs demeurant assez confidentielle au sein des grandes exploitations, la fin du XXème siècle se caractérise par un élargissement des compétences des producteurs qui fait bondir la qualité moyenne des vins du bordelais avec abandon des vins de table au profit des vins d’AOC.
Dans notre chapitre 4 « Qualité des vins et diffusion des savoirs », la montée en puissance de la diffusion des savoirs et de leur appropriation par la plus grande partie des vignerons est manifeste. Elle souligne le rôle de l’essor de l’enseignement agricole dans l’amélioration généralisée de la qualité organoleptique des vins, en permettant à chacun de lire avec profit, car nanti des fondamentaux, les ouvrages et revues spécialisées qui voient leur diffusion croître sans cesse depuis le second XIXème siècle. Nous retrouvons aussi dans ce chapitre le rôle des organisations professionnelles qui sous l’influence d’animateurs éclairés sont parvenus à mobiliser les vignerons dans la même voie, souvent favorisé par la dureté des crises. Le rôle essentiel des noyaux d’élite (chapitre 1) dans le fonctionnement des terroirs et dans l’évolution des plus performants d’entre eux vers une forme de « cluster » qui est ainsi souligné, renforçant ainsi le poids de la composante sociale dans la qualification des vins et leur valorisation.
Le prix des bordeaux
« Les grands bordeaux sont trop chers et les petits bordeaux ne sont pas bons ». En reprenant cette réflexion entendue aux quatre coins du monde, Denis Dubourdieu (témoignage n°10) situe parfaitement le problème de vins de Bordeaux. Faire un bon vin de Bordeaux, poursuit-il, requiert une viticulture qui coute cher. Or les « bons bordeaux » ne valent pas chers : ils valent moins de quinze euros et la plupart se vendent moins de dix euros. « Le drame de Bordeaux c’est sans doute de ne pas avoir le courage de dire, en dessous de ce prix-là, on ne sait plus faire » quand les Champenois ont dit en dessous de 15 euros cela ne peut pas être du champagne. La loi de l’offre et de la demande fait le reste et, compte tenue de l’abondance de la production identifiée « bordeaux », le marché tire les prix de la plus grande partie de la production vers le bas, mettant en péril une frange de plus en plus importante des exploitations quand les prix des crus classés poursuivent leur ascension.
Pour ces derniers, le chapitre 5 « Prix et qualité des vins de Bordeaux du XVIIème siècle à nos jours : quelle relation ? » souligne clairement la difficulté de classer les vins sur leur qualité objective. Leur prix ne peut donc refléter leur qualité. Evitons néanmoins les théories sociales pour qui tous les vins se valent, les prix dépendant du statut social des propriétaires. Dès la seconde moitié du XVIIème siècle, les prix de certains Haut-Médoc augmentent alors que, en dehors des courtiers, les « prescripteurs du goût » sont absents de la scène médiatique. Les courtiers ont retenu les prix comme critère de classement, sans les faire coïncider avec la qualité. La disparité des cours des vins de graves s’accentue dès la deuxième moitié du XVIIème siècle, en posant que les cours n’étaient pas hiérarchisés avant 1647. J. Locke nous dit que cette disparité résulte de la concurrence que se livrent les Anglais, acheteurs majeurs des grands vins de Bordeaux. La concurrence débouchera sur une hiérarchie des prix grandissante alors que la qualité reste en moyenne la même d’un domaine à l’autre. Les témoignages montrent que peu de chose laisse transparaître que les futurs premiers crus sont jugés meilleurs que les autres. Ils sont jugés différents. L’antériorité de la préséance – qui reste à démontrer – aurait été le point de départ de la montée des meilleurs vins. L’offre et la demande feront le reste. Le classement de 1855 peut apparaître comme une « prison de longue durée » qui aurait bénéficié à ceux qui sont partis les premiers. Déjà, la qualité interfère avec la notion de goût. Aujourd’hui, ni les prix ni les notes ne coïncident exactement avec le classement de 1855 car les goûts comme les vins changent. R. Parker est comme les autres dégustateurs, un « prescripteur de goût », phénomène culturel qui se superpose au monde du vin.
Les différents piliers du vignoble bordelais identifiés, voyons maintenant comment ceux-ci participent à l’âme du bordeaux.
Y-a-t-il une essence des vins de Bordeaux ?
La réponse nous la cherchons bien sûr dans un premier temps dans l’histoire et la tradition.
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Tout au long du chapitre 3 nous avons vu que la structure des vins de bordeaux avait varié au cours du temps. D’abord très longtemps appelé « claret », en raison des choix qu’il y avait à produire des vins rouges, le vin est devenu, à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, plus rouge et plus tannique. Mais jusqu’à la fin du XIXème siècle, la quête de la couleur n’était pas ce qui était prioritaire. Ce qui était alors recherché, c’est la finesse et la délicatesse. C’est pour cela qu’en 1855, les vins classés sont les vins du Haut-Médoc, les vins les moins colorés et les moins tanniques de toute la région alors qu’aujourd’hui les grands vins sont beaucoup plus foncés. Cette évolution donne à penser, a priori, que le vin n’est plus le même tellement il a varié dans le temps, sous l’effet de la concurrence mais aussi de techniques de plus performantes.
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Cependant, les vins de Bordeaux d’aujourd’hui, plus rouges, plus tanniques n’ont pas perdu de leur finesse, de leur délicatesse, de leur fraicheur lorsque la vinification ne les dénature pas au point d’en faire des vins semblables à des vins de pays chauds comme ceux du « nouveau » monde viticole. La Gironde, avec ses cépages, aurait un « avantage comparatif » sur tous les autres vignobles en étant située à la limite de leur zone de production. La crise récente qui a secoué le vignoble bordelais parait avoir des effets dévastateurs sur cette image de la qualité.
Les méfaits de la crise.
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Les causes de la crise contemporaine sont multiples, conjoncturelles comme structurelles et outre l’inconvénient de mettre à mal les finances des entreprises les plus fragiles, elle a aussi pour incidence d’ouvrir le débat sur les remèdes à mettre en place pour la surmonter. La qualité du bordeaux en fait partie tout comme la segmentation de la production bordelaise.
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Récemment, sûrement avec un peu de provocation, du moins on l’espère, un propriétaire du Médoc se vantait de faire des vins bons à boire rapidement au goût de « gâteau au chocolat ». Certes, cela peut plaire à certains mais est-ce bien l’âme du bordeaux ? N’est-ce vouloir tenter, au risque de perdre son identité, de reproduire les vins du nouveau monde, au nom d’une concurrence bien mal comprise. Dans le même style, et dans une logique très marketing, le propriétaire d’un château du Médoc se vantait aussi qu’après une cuvaison de trois à quatre semaines, de passer « deux fois 12 mois son vin en barriques neuves, soit, comme il nous est dit « 200 % de barriques neuves ». Certes, le bois est présent à Bordeaux mais encore une fois est-ce bien l’âme du bordeaux ? Rappelons que les grands crus classés du Haut-Médoc élèvent leurs vins en barriques mais que la proportion de bois neufs varie de 100 à 30 % selon les crus. Si la présence d’un « goût de bois » prononcé est recherchée aujourd’hui par une certaine clientèle, doit-on uniformiser tous les crus de la planète et laisser le bordeaux perdre son âme ?
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L’adaptation séculaire des cépages médocains aux conditions climatiques locales a constitué pour le vignoble bordelais un avantage comparatif indéniable. N’est-il pas étrange de vouloir l’abandonner pour tenter de concurrencer les pays du nouveau monde sur un terrain où le climat chaud est un atout que Bordeaux ne possède pas, pour l’instant du moins, alors que ceux-ci peuvent difficilement porter atteinte à une certaine « typicité » de sa production ? L’herbe est décidément toujours plus verte dans le jardin du voisin ! Certes l’esprit humain est ainsi fait mais, n’y aurait-il pas une certaine sagesse à savoir résister à ce chant des sirènes ?
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C’est pourtant un peu le contraire qui s’est produit dans les années 2000 alors que tout le monde parlait de crise. Oubliant que le vin est d’abord une produit de consommation destiné à satisfaire un plaisir gustatif comme culturel, la mode des vins de « garage » a généré des produits de « concours » pour satisfaire la marché des « primeurs ». Leur succès médiatique a entrainé dans leur sillage de nombreux producteurs de ces « nouveaux bordeaux » qui espèrent ainsi conquérir de nouveaux marchés sur le territoire des vignobles concurrents. La confusion d’image qui suivit ne fut pas sans effet sur les consommateurs avec pour certains du moins, des repères qui les fidélisaient à ce type de vin.
L’âme des vins de Bordeaux.
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Elle est largement explicitée dans les deux entretiens que le CERVIN a conduits avec Denis Dubourdieu et JC Berrouet. Viticulture de précision et œnologie « douce » apparaissent bien comme les fondamentaux d’une Œnologie bordelaise dans le sillage des travaux de l’INRA pour la viticulture et de ceux de l’Institut d’œnologie de Bordeaux, suite aux travaux de Jean-Ribereau-Gayon et Emile Peynaud. Comme le rappelle avec force Denis Dubourdieu dans l’entretien n°10, le chauffage de la vendange comme l’infusion de bois de chêne ne font pas partie des pratiques prônées par l’Ecole d’œnologie bordelaise.
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La viticulture traditionnelle bordelaise corrigée de certains excès nuisibles à l’environnement est une viticulture exigeante qui ne peut être conduite que dans des exploitations dégageant un minimum de bénéfices et donc vendant ses vins à des prix qui ne sont compétitifs avec les vins d’entrée de gamme de nombreuses appellations françaises comme étrangères. D’où le recours à d’autres méthodes de conduites de la vigne, comme les vignes larges. Dans bien des cas, notamment pour les vins rouges, la qualité de la vendange impose des modes de vinification comme la chauffe de la vendange peu compatible avec le respect du terroir selon Denis Dubourdieu.
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Dans une tribune récente du Point[1] à propos de la campagne de primeurs 2015, Jacques Dupont résume assez bien les termes du débat :
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« En schématisant au maximum, la " méthode" Boissenot consiste à peu extraire pendant les phases de fermentation et de macération pour préserver le fruit et ne pas charger en tanins durs. Puis, après l'écoulage, quand on sépare le jus dit "de goutte" (celui qui coule seul de la cuve) du marc qui, lui, va être pressé, surveiller, trier, à classer ces jus provenant du pressoir. Éric Boissenot y consacre une énergie peu commune, dégustant chaque barrique dite "de presse" pour la noter. Il s'agit parfois de plusieurs centaines de fûts. Enfin, au moment des assemblages, comme un cuisinier avec son plat, il construit avec l'équipe technique du domaine le vin idéal. Les presses, qui n'ont pas été lessivées par les fortes extractions, permettent de rajouter de la densité et leur classement par qualité (plus ou moins tanniques) offre ainsi un clavier sur lequel on peut jouer.
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À l'inverse, les partisans des fortes extractions dès le départ ne disposent pas de cette possibilité, leurs vins de presse ne peuvent apporter que du médiocre. Seul recours alors pour adoucir, les traitements oenologiques dont le plus connu s'appelle micro-oxygénation, qui n'est pas sans risque quant au vieillissement des rouges. En matière de vin, il est possible d'ajouter, mais pas de soustraire. Rendons grâce aux autres œnologues. Boissenot n'est pas le seul à préconiser la douceur. Jean-Claude Berrouet, qui a une quarantaine de vendanges à Pétrus derrière lui, ne préconisait pas autre chose, et Denis Dubourdieu dénonce depuis longtemps les extractions " à la truelle". »
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Peut-on alors encore parler de bordeaux dans le second cas ? Bordeaux peut-il longtemps encore échapper à une vraie réflexion sur la nature du bordeaux ? Celle-ci ne doit-elle pas être intégrée à la question de la segmentation que les propositions du « Plan Bordeaux » mis en place par l’Interprofession pour contrer les méfaits de la crise ne paraissent pas régler car sont-elles autre chose que la copie du modèle anglo-saxon en vigueur dans les pays du Nouveau Monde viticole ?
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La « marque bordeaux », au nom de la tradition, peut-elle toujours être accordée à – presque – tous les vins issus de la Gironde, même si les pratiques utilisées ne sont pas d’essence bordelaise ? La question de l’origine se retrouve ainsi posée en regard de la typicité du bordeaux. Ne pas tenter d’y répondre n’est-il pas, de la part des professionnels, une fuite en avant qui met en péril tout le système bordeaux ?
Ce faisant notre analyse a permis de mettre en relief le rôle prépondérant des hommes dans la mise en valeur de la qualité des sites viticoles. Celui-ci est amplifié dans la seconde moitié du XXème siècle grâce aux découvertes de la recherche dont les applications sur le terrain sont favorisées avec l’institutionnalisation du métier d’œnologues (création en 1956 du DNO). C’est donc à la gouvernance des terroirs qu’il a fallu nous attacher. C’est ce qui a été fait dans l’ouvrage « essai géographique sur le crise du bordeaux » où, après une mise en perspective de leur genèse, sont abordées les menaces qui pèsent sur ces terroirs. Les auteurs avancent alors des pistes de réflexion en direction d’une reterritorialisation des appellations d’origine contrôlée. C’est en effet pour eux la seule façon de maintenir le dense tissu de cette agriculture paysanne qui a fait la force des terroirs dans le passé et qui semble en mesure d’assurer leur développement durable.
Manifestations organisées
Séminaires « Les fondements de la qualité des vins »
Ces séminaires ont été organisés par le Cervin (JM Chevet) dans la salle de dégustation de l'ISVV avec la participation des agronomes, des œnologues, des historiens et des géographes et ont servis de points d'ancrage pour la réalisation du volume "« Vins et vignobles de Bordeaux – Les itinéraires de la qualité ». Trois ont ainsi pu être organisés :
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JC Berrouet (œnologue de Petrus) : l’influence de la composition des sols
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Kees Van Leuven (professeur de viticulture à Bordeaux Sciences Agro et consultant du Château Cheval Blanc) : le rôle du bilan hydrique
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Jacques Blouin (ancien directeur du service vins de la Chambre d’Agriculture de la Gironde) : l’effet cépage.
Colloque « Les itinéraires de la qualité des vins »