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Série d'entretiens d'anciens enseignants -chercheurs de l'Institut d'œnologie de Bordeaux

 

Le CERVIN a déjà capté la mémoire de :

Pascal Ribereau-Gayon (1930-2011)

Gérard Seguin(1938-2019)

Jean-Noël Boidron (1936-...)

Alain Bertrand (1943-...)

Aline Lonvaud (1947-...)

Denis Dubourdieu (1949-2016),fondateur de l'ISVV

en attendant leurs successeurs...

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Pascal Ribereau-Gayon (1930-2011)

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Né le 4 juin 1930 à Bordeaux. Après des études au Lycée Michel-Montaigne à Bordeaux, aux facultés des sciences de Bordeaux et de Paris, aux Universités de Cambridge (Angleterre) et de Californie (Etats-Unis). (Diplômé d’études supérieures de sciences, Docteur ès sciences physiques), il est recruté en 1952 comme assistant à la faculté d’œnologie dirigée par son père. Chef de travaux (1961), Maître de conférences (1964), Professeur (1969), il devient en 1976 directeur de la station agronomique et œnologique de Bordeaux. Il le restera jusqu’en 1997. 

Ses recherches scientifiques sur la vigne, le raisin et les fermentations, en vue de l’amélioration des conditions de production des grands vins, sont à la source de nombreuses publications et communications en microbiologie et biochimie appliquées à l’œnologie. Il est mort le 15 mai 2011 à Bordeaux alors que sa dernière publication « L'histoire de l'œnologie à Bordeaux de Louis Pasteur à nos jours » était en cours de parution chez Dunod.

C’est à propos de cet ouvrage que le CERVIN (Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel) avait souhaité le rencontrer dans le cadre d’un programme de recherches de l’ISVV sur l’histoire de la qualité des vins de Bordeaux. Quelques semaines avant son décès, il nous avait reçus dans son appartement bordelais. Cet entretien a été transcrit sans modification.

Cervin : Comment décrivez-vous le modèle viticole bordelais ?

Pascal Ribereau-Gayon : Le modèle viticole bordelais, c’est peut-être tout simplement la collaboration qu’il y a eu entre les scientifiques et le monde professionnel. On ne fait pas les vins doux naturels de Perpignan comme on fait les vins doux de Bordeaux ou les vins blancs d’Alsace. Il y a une façon d’aborder le vin qui n’est pas identique partout.

La façon de faire le vin a changé au cours du temps. Il y a la question de la fermentation malolactique qui a transformé l’approche de la vinification. Pasteur ne l’a pas vue. Cela n’enlève rien à son mérite, à sa notoriété, mais certains ont voulu le cacher. Parce que « Pasteur a dit que… ». Il a été très difficile de faire accepter cette découverte. On ne pouvait pas dire que Pasteur c’était trompé… Mais au moment de la grande expansion, dans les années 50-60, cela a beaucoup joué.

Il y a des écoles dans le domaine du vin, comme ailleurs. J’ai toujours joué sur la finesse pour définir et produire un grand vin. Et dans ce domaine on a entrainé les autres. La Bourgogne a fait d’énormes progrès beaucoup plus tard que nous, un peu en nous imitant. Les vins blancs de Bourgogne ont toujours été prodigieux. Ils avaient un cépage bien adapté, très facile à travailler, c’est le Chardonnay. Nous nous avons le Sauvignon qui est très difficile à travailler et si nous arrivons à bien de travailler à Bordeaux, c’est tout récent. Pour le rouge c’est le contraire, nous avons la cabernet-sauvignon : pourvu qu’il murisse bien, il fait un vin excellent. Par contre le pinot est un cépage diabolique, très fragile, qu’il faut travailler dans des conditions optimales. En matière de vins rouges, ils ont fait des progrès récents, alors que leurs vins blancs sont remarquables depuis longtemps. Et donc plus qu’une question d’école de vinification, c’est une question de choix et de culture de cépages.

La Bourgogne est une chose, Bordeaux est autre chose : il y a de très bons vins des deux côtés. Mais c’est vrai que l’œnologie bourguignonne a été plus lente. Pour vous citer un exemple, il n’y a eu que tout récemment un professeur d’œnologie à l’université. Il y avait des professeurs qui enseignaient l’œnologie mais qui n’étaient pas des professeurs d’œnologie. Mon père a été le premier dans l’université française à être titulaire d’une chaire d’œnologie et j’ai été le second. Les chaires ont disparues et c’est devenu première et seconde classe. Les professeurs d’université à Dijon c’est beaucoup plus récent. A Montpelier c’est une école d’agriculture. A la faculté de Pharmacie le professeur Jaulmes qui enseignait l’œnologie était professeur de chimie analytique. Madame Brun c’était pareil. A l’étranger, aux Etats-Unis, il y a toujours eu des professeurs d’œnologie. Ils sont moins regardants qu’en France pour les créations de postes à l’université.

Mon père travaillait chez Calvet. En 1949 il est devenu directeur de la station d’œnologie et ensuite il est entré à la faculté des sciences comme maître de conférences et a fait toute sa carrière à Bordeaux. Moi j’ai fait une carrière complète à l’université de Bordeaux.

Ulysse Gayon a beaucoup marqué ici car il arrivait de l’équipe de Pasteur et est resté en contact avec lui. Après avoir soutenu sa thèse avec lui, il a refusé de rester dans son équipe pour se rapprocher de la Charente d’où il est originaire et s’est installé à Bordeaux où il a fait toute sa carrière.

Je suis arrivé en 1950, un moment où le vignoble était sinistré au lendemain de la guerre. Quand je suis parti en 2000, je ne sais même si au 19ème siècle il avait connu une période aussi glorieuse. Dans les années 50, les chercheurs de l’INRA disaient aux viticulteurs « faites du rendement, vous serez toujours gagnants ». En 2000, on est arrivée à la situation où la qualité est payante : faire moins de vin meilleur permet de gagner plus. La qualité du vin avait déjà été reconnue en 1855 mais elle reposait sur celle du terroir, sur la reconnaissance des bons terroirs. Aujourd’hui la qualité du vin est fondée sur le travail de l’homme. On a compris tellement de choses sur le raisin et la vinification qu’aujourd’hui on est en mesure de faire face à beaucoup d’aléas. On ne ramasse plus des raisins pas mûrs et pourris. 

Pour découvrir l'ensemble de l'entretien avec Pascal Ribereau-Gayon

Gérard

Gérard Seguin(1938-2019)

Seguin 1980 avec Pucheu Planté pour centen.jpg

 

Gérard Seguin obtient le Diplôme National d’Œnologue à l’Université de Bordeaux en 1959. Recruté alors comme assistant en chimie agricole par Jean Ribereau-Gayon, il soutient un doctorat de 3ième cycle en 1965 sous l’intitulé « Études de quelques profils de sols du vignoble bordelais ». Il obtient alors un poste de maitre-assistant qui lui permet de présenter en 1970 son doctorat d’Etat : « Les sols de vignobles du Haut-Médoc, influence sur l’alimentation en eau de la vigne et sur la maturation du raisin. » Promu maitre de conférences puis professeur des Universités, il consacra sa carrière à la formation de plusieurs générations d’œnologues, les initiant à une bonne connaissance des terroirs viticoles. Reconnu comme expert auprès de l’OIV, il contribua par ses travaux scientifiques à la l’évolution du concept de terroir, le faisant passer d’une vision pédologique à un regard plus largement agronomique, mettant en avant le rôle du bilan hydrique des sols dans la détermination de la qualité des vins. Il fut ainsi un des grands acteurs de la reconnaissance de la valeur du terroir au niveau international. Nous l’avons interviewé à son domicile le 16 septembre 2014. Il est décédé à Bordeaux le 14 avril 2019. 

A gauche, lors du centenaire de la création de la station agronomique de Bordeaux en 1880

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CERVIN : Comment et pourquoi êtes-vous devenu œnologue ?

Gérard Seguin : Je suis rentré à l’école normale d’instituteur en 1952. En 1956 j’ai été sélectionné parmi les cinq jeunes instituteurs de l’Académie pour devenir professeur de cours complémentaires ; il y en avait deux en lettres, un en math et deux en sciences. J’étais un des deux scientifiques. J’ai donc suivi le certificat d'études physiques, chimiques et naturelles, certificat probatoire nécessaire pour poursuivre ensuite des études en licence. C’était mon professeur de mathématiques qui m’avait poussé pour cette sélection ; aussi ensuite il a regretté mes choix vers les sciences.

Je suis ensuite retourné à l’école normale pour effectuer mon année de formation professionnelle. Il y avait alors dans les écoles normales des postes de surveillant pour des instituteurs qui souhaitaient poursuivre leurs études à l’Université. Il n’y avait pas de place à Bordeaux mais j’ai été pris à Paris, à l’école normale d’Auteuil. Ainsi j’ai fait des études de géologie en Sorbonne. Reçu à l’écrit, je suis collé aux travaux pratiques car je n’avais pas assisté à ces derniers : j’avais préféré aller au théâtre, visiter des musées…

En 1990

A cette époque il y eu une réorganisation des enseignements universitaires : de trois certificats nécessaires pour obtenir la licence, nous sommes passé à six unités de valeur. Revenu à l’école normale de Bordeaux où une place s’était libérée, j’ai négocié une équivalence avec l’université et j’ai obtenu une unité de valeur de géologie. Instituteur détaché comme surveillant, j’avais mon salaire d’instituteur. Comme surveillant je travaillais surtout le soir et le samedi. J’optais donc pour la biologie générale dont l’emploi du temps collait avec le mien. Il y avait aussi comme certificat une option œnologie et chimie agricole. Chimie agricole m’intéressait car il s’agissait du sol ; œnologie ne m’intéressait pas plus que cela. J’aimais bien le vin, je savais comme on le faisait, un de mes oncles étant viticulteur mais je n’étais pas attiré par cette discipline. Je suivis avec succès les cours de Jean Ribereau-Gayon et de Genevoix en œnologie et chimie agricole. L’année suivante j’obtenais ma licence.

Il se trouva à cette époque, nous étions en 1962, que deux postes d’assistants étaient vacants en œnologie et en biologie, suite à un afflux d’étudiants dans l’université. J’aurai préféré biologie mais M. Ribereau-Gayon, comme j’avais bien réussi en œnologie et en chimie agricole, me proposa le poste en œnologie. J’acceptai en posant comme condition de pouvoir préparer un doctorat d’Etat. J’étais gonflé, je n’avais rien fait en dehors de mes études. C’est ainsi que je me suis retrouvé assistant en œnologie et chimie agricole - alors que je préférais la biologie - avec comme perspectives l’étude des sols viticoles, que Genevoix nous avait mal présenté mais qui intéressaient quand même.

Lire l'entretien avec Gérard Seguin

Jean-Noel

Jean-Noël Boidron (1936-2023)

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Entretiens réalisés pour le Cervin par JC Hinnewinkel les 24/10/2018 et 27/12/2018

Né le 19/12/1936 à Montagne (Saint-Emilion), enseignant-chercheur en analyse chimique et sensorielle à la l’Institut d’œnologie de Bordeaux, membre fondateur de l’Association Internationale du Vin, Post président de l’Académie du Vin de France et membre de l’Académie du Vin de Bordeaux, Jean-Noël Boidron est resté un vigneron, responsable des vignobles familiaux (80 hectares) à Pomerol, Saint-Emilion, Saint-Georges Saint-Emilion, Montagne-Saint-Emilion et en appellation Bordeaux. 

CERVIN : Mr Boidron, fils de vigneron, comment devient-on enseignant chercheur en œnologie ?

J-N Boidron : Je suis né le 19/12/1936 à Montagne (Saint-Emilion). Après avoir fréquenté l’école rurale de Montagne en compagnie d’autres enfants de paysans, j’ai suivi des études secondaires à Libourne puis une fois ma formation universitaire à Bordeaux, je suis arrivé à l’Institut d’œnologie en 1955. A cette époque l’Institut était cours Pasteur, là où il y a actuellement le Musée d’Aquitaine. Il occupait une petite partie de l’immeuble, sur l’arrière, donnant rue Paul Bert. Fraichement diplômé de l’Université avec une licence de mathématiques et sciences, je cherchais du travail. La recherche m’intéressait mais sans plus. J’hésitais aussi à partir dans l’exploration pétrolière. Jeune diplômé, je cherchais une situation. Ma famille était très active ici, à Montagne-Saint-Emilion et comme il n’y avait pas de place pour moi à ce moment-là, il fallait que je trouve du travail. Dans ma famille - je sais bien que cela n’est plus la mode - on doit travailler. Donc je me cherchais une place et je suis tombé sur une demande affichée de Jean Ribereau Gayon, directeur de l’Institut d’œnologie, qui cherchait un assistant pour la recherche. J’ai poussé la porte, demandé un rendez-vous et donc je l’ai rencontré. Je ne sais pas si j’étais le seul candidat mais il m’a embauché et on a commencé à travailler. Les conditions matérielles étaient incroyables, je n’avais pas de chaise pour m’asseoir. Aujourd’hui un chercher n’accepterait pas de se mettre au travail dans un tel contexte. Je disposais alors d’un coin de paillasse pour faire de la bibliographie, sans bien sûr les systèmes informatiques actuels et d’une caisse pour m’asseoir.

Cette situation a duré une bonne année. En plus de ma recherche bibliographique Jean-Ribereau-Gayon m’a fixé un sujet de thèse sur quelque chose qui lui tenait à cœur, l’oxydoréduction. Il m’a alors suggéré de faire un stage de recherches à l’Ecole de Brasserie de Nancy où le directeur s’était spécialisé dans la mesure de l’oxydoréduction dans les bières. J’ai appris là-bas ce qu’était la fermentation car les brasseurs travaillent beaucoup sur ce sujet et ils avaient mis au point un système de mesure que je ressentais mal. J’avais des difficultés à comprendre et surtout je n’en voyais pas l’intérêt. Cela commençait mal pour un sujet de thèse mais Jean Ribereau Gayon tenait à ce que je poursuive et m‘a commandé toute une série d’appareils très « préhistoriques ». A mon retour de Nancy, j’ai donc travaillé une bonne année sur ce sujet. A l’époque on était aussi affairé à préparer notre déménagement pour rejoindre nos nouveaux locaux dans un bâtiment de Talence alors en construction. Jean Ribereau Gayon avait en effet obtenu qu’il y ait une place pour l’Institut d’œnologie. Tout était à faire. 

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Alain

Alain Bertrand (1943-...)

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Entretien réalisé pour le Cervin par Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel les 11 septembre, 10 octobre et 15 novembre 2018

Alain Bertrand est professeur émérite de la Faculté d'Œnologie de l'Université de Bordeaux où il a dirigé le Laboratoire de chimie analytique. Il est expert auprès de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV).

Alain Bertrand  :

Je suis d’origine paysanne charentaise, élevé par ma mère seule, travaillant bien au lycée de Libourne et titulaire du baccalauréat Mathématiques élémentaires de l’époque, comme je ne croyais pas en mon succès à l’examen, je n’avais pas fait de demande de bourse alors que j’en avais jusqu’alors bénéficié tout le long de ma scolarité. Chimiste dans l’âme, je suis devenu « pion » à Libourne pour entreprendre des études de chimie. Inscrit à la Faculté des sciences de Bordeaux, j’ai été collé en MPC (Mathématiques – Physique – Chimie) la première année. J’ai été reçu la seconde année, j’ai alors fait une demande de bourse, je l’ai obtenue et préparé mes certificats de chimie.

En 1964, à la suite du très bel enseignement de Paul Hagenmuller professeur de chimie minérale, j’ai pensé continuer à la faculté sur les engrais comme assistant, compte tenu de mon origine paysanne. Mais celui-ci, pas intéressé, m’adressa alors au professeur Jean Ribéreau-Gayon, dont le laboratoire contrôlait les engrais pour la répression des fraudes. Ce dernier me déclara n’être pas intéressé par une recherche dans ce domaine mais, en revanche, m’invita à me tourner vers l’œnologie. J’avais 22 ans, j’avais une licence d’enseignement de chimie mais j’ignorais tout de l’œnologie. Je voyais bien, dans le hall des amphis de la faculté des sciences, les affichettes annonçant les cours de vulgarisation d’œnologie le lundi soir, mais cela ne m’intéressait pas.

Par contre, quand Jean Ribéreau-Gayon a ajouté « Si vous voulez faire de l’œnologie, on vous paiera », je devins très vite intéressé. J’étais jeune marié ! A ma demande, il m’apprit que l’œnologie c’est essentiellement de la chimie organique. Or, la chimie organique m’avait été enseignée par un vieux professeur qui exigeait que l’on apprenne par cœur une quarantaine de préparations des aldéhydes et cétones et, par ailleurs, dans un laboratoire des travaux pratiques, il fallait faire des queues interminables pour présenter nos résultats. C’était vraiment embêtant au possible pour quelqu’un de très pressé et, en fait, je n’étais pas très bon en chimie organique. Il me demanda de réfléchir et je suis revenu une semaine après, il me proposa alors un salaire mensuel de 800 francs, alors que ma femme qui travaillait chez Peugeot n’en gagnait que 350. C’était Byzance !

Découvrir tout l'entretien  d'Alain Bertrand

Aline

Aline Lonvaud (1947-...)

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Entretiens avec Aline Lonvaud réalisés à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin Bordeaux-Aquitaine pour le CERVIN par Jean-Michel Chevet et Jean-Claude Hinnewinkel les 10/01, 09/02 et 14/03/2017

Née en 1947, Docteur ès-sciences, zootechnie et agronomie (Bordeaux 2, 1986). Professeur à la Faculté d'œnologie, Université Victor Segalen-Bordeaux 2 en 2003, aujourd’hui Professeur Emérite, Institut des Sciences de la Vignes et du Vin Bordeaux-Aquitaine (ISVV).

 

Cervin : D’où vient votre intérêt pour l’œnologie ?

Aline Lonvaud : Je n’avais pas prévu d’être œnologue et je préparais les concours d’admission aux grandes écoles d’agronomie. En 1968, j’ai été admissible mais pas reçue. Je ne suis pas bordelaise, mais narbonnaise J’étais attirée par la chimie et à Narbonne, la chimie, c’était l’œnologie. Des œnologues de « gros » laboratoires locaux m’ont conseillée : « Pour faire des études d’œnologie, il faut aller à Bordeaux », alors que nous n’étions qu’à 100 km de Montpellier. C’est comme cela que je suis arrivée à l’Institut d’œnologie pour préparer le diplôme national d’œnologue, dont la première version comportait, deux ans après le bac, une année de préparation et l’année du DNO. Comme je sortais de classe préparatoire aux grandes écoles, j’ai été admise en deuxième année. Là j’ai eu de grands professeurs, Jean Ribéreau-Gayon, directeur de l’Institut d’œnologie, Emile Peynaud, directeur du service de recherche de la station agronomique et œnologique, Pascal Ribéreau-Gayon, professeur, Pierre Sudraud, directeur du laboratoire interrégional de la répression des fraudes, alors intégré à l’Institut d’œnologie et Gérard Seguin maître de conférences.

Pour mon orientation en œnologie, je dois insister sur le rôle de Mr G. Seguin. Indirectement je lui dois beaucoup. A l’issue de mon DNO, j’ai fait le stage dans son laboratoire. Ses travaux portaient alors sur l’alimentation en eau de la vigne, il mesurait et étudiait les profils hydriques dans les sols et dans la plante, tout au long de l’année et surtout pendant l’été jusqu’aux vendanges. J’ai donc travaillé avec lui pour la première fois en août 1970, en faisant les prélèvements de raisins sur les points de mesure de profil hydrique. Quand je n’étais pas dans la vigne, j’étais devant des paillasses ; c’était le bonheur absolu. J’étudiais deux sites viticoles du Médoc et un du Sauternais, l’évolution de la baie de raisin depuis la véraison jusqu’à la vendange. Pour chaque baie (200 baies par prélèvement) au moins une fois par semaine (plus s’il pleuvait) je notais le poids, le volume, l’acidité, les sucres le nombre de pépins et… la résistance à l’éclatement. Ce dernier caractère était mesuré grâce à un montage très ingénieux mis au point par Mr. Seguin et un de ses collègues « bricoleur ». L’objectif était de mettre en relation toutes ces mesures sur la baie et celles sur l’alimentation en eau et les profils hydriques du sol. Je ne ferai pas plus de commentaire sur la machine à calculer qui devait peser 10kg et qui pendant des heures me permettait de faire les calculs de corrélation entre les différents paramètres mesurés et… imprimait des longueurs de papier impressionnantes ; les calculettes n’en étaient qu’à leur début et il n’y en avait pas à l’Institut. J’avais dû finalement acheter ma première calculette « Texas » encore très limitée dans ses performances sans doute en 1971. 

Pour découvrir l'entretien d'Aline Lonvaud

Denis

Denis Dubourdieu (1949-2016),fondateur de l'ISVV

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Les entretiens du CERVIN avec Denis Dubourdieu cherchent à saisir le point de vue du Directeur de ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin – Bordeaux – Aquitaine) sur l’évolution de la qualité des différents vins de Bordeaux au cours du dernier demi-siècle

Ils ont été conduits en 2015 par JC Hinnewinkel avec la collaboration de Jean-Michel Chevet et relus par Hélène Velasco-Graciet.

Fondateur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin – Bordeaux-Aquitaine, Denis Dubourdieu est né en 1949 au château Doisy-Daëne à Barsac en Sauternais, Denis Dubourdieu obtient en 1972 le diplôme d’ingénieur agronome spécialité « viticulture-œnologie » à l’Ecole nationale supérieure d’agronomie de Montpellier. Détaché à l’Institut d’œnologie de Bordeaux2 comme chargé de recherches entre 1975 et 1982, il soutient une thèse de Doctorat d’Etat ès sciences consacrée à la composition macromoléculaire des vins liquoreux en 1982. Maître assistant en 1983 en biochimie appliquée à l’Institut d’œnologie de l’Université Bordeaux II, il commence alors une carrière d’enseignant-chercheur-vigneron des « Domaines Dubourdieu » qu’il cogère avec son épouse. Après la création en 1996 de l’IFR (Institut Fédératif de Recherche) des sciences de la vigne et du vin à Bordeaux, il est la cheville ouvrière de la fondation de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin Bordeaux-Aquitaine. Il dirigea, presque sans discontinuer jusqu’à sa mort en juillet 2016, cet établissement ouvert en 2009.

CERVIN : Lors de tes débuts comme professionnel du vin, comment définissait-on un vin de qualité ? La qualité des vins de Bordeaux, leur représentation était-elle la même qu’aujourd’hui ?

Denis Dubourdieu : C’est presque une conclusion. Si je puise dans mes souvenirs les plus anciens, avant que je ne rentre à l’Institut d’oenologie comme enseignant-chercheur, la qualité c’était l’excellence d’un cru. On n’envisageait pas que des vins de nom inconnu, d’appellations secondaires, bien qu’ils puissent être de bons vins, illustrent la qualité. La qualité est difficile à définir mais on peut donner des exemples. Par exemple si tu n’y connais rien à Chablis, plutôt que de te décrire ce qu’est un Chablis, le goût de Chablis, le terroir de Chablis, le climat de Chablis, plutôt que finalement te laisser à l’extérieur du sujet essentiel qui est ta perception, ton goût, il y a une autre solution : prendre un vin de Chablis que j’aime, parce que je connais cette appellation, et te dire voilà, goutte cela, c’est du Chablis, c’est ce que tu peux trouver de meilleur dans un grand cru de Chablis ou dans un Premier cru de Chablis. Donc l’image de la qualité était indissociable du pouvoir de représentation de la qualité, qui était l’apanage, on pourrait presque dire la « qualité » des crus. Les crus ont toujours été comparés, classés, côtés dans l’histoire de Bordeaux, bien avant le classement de 1855.

Quand ce classement est sorti, il est presque passé inaperçu, c’était un classement parmi d‘autres et c’est un concours de circonstances plus ou moins sanctifié par l’INAO qui en a fait un monument. Des classements il y en avait bien avant – il suffit de relire les bons auteurs, Julien[1] ou même l’histoire du classement de 1855 de Markham[2]. Donc dans ma jeunesse, la qualité on ne la décrivait pas mais on en donnait quelques cruscomme exemples. Cela ne prouve pas pour autant que les gens ne sachent pas gouter et bien au contraire ils avaient une idée très précise du goût que le vin devait avoir pour illustrer cette qualité. Mais plutôt que de dire ce vin sent l’abricot frais, l’orange confite, la pêche blanche le matin, etc., plutôt que de donner des descripteurs naturalistes de la qualité, ils utilisaient des descripteurs anthropomorphiques, il est élégant, fin, délicat… On pourrait dire qu’ils puisaient dans les Caractères de La Bruyère tous les descripteurs que l’on pouvait donner à un vin. Ça n’en était pas moins évocateur que les descripteurs d’aujourd’hui. La description de l’odeur d’abricot frais dans un verger des Pyrénées Orientales un mois de juin béni des Dieux, c’est sûr que si vous l’avez vécu, c’est incomparable. Mais si vous avez mangé toute votre vie les abricots du « Super Mercado », ceux qui sentent plus ou moins le chloroforme, qui sont durs comme de l’âne, cela n’évoque pas grand-chose d’autre qu’une certaine forme de poésie.

On décrivait donc le vin avec une certaine avarice en donnant l’exemple d’un vin fin. L’antithèse, c’était le vin paysan, le vin rustique. Tout se passait à cette époque-là comme si le vin n’était pas fait à la campagne. Les crus étaient commentés par ceux qui étaient les incantateurs de la qualité, en gros le grand négoce, le courtage et puis c’est à peu près tout, à l’exception de quelques riches visiteurs - importateurs, américains le plus souvent, dont c’étaient les premières visites… On avait l’impression qu’il y avait les crus qui étaient d’un milieu urbain, au sens civilisation du terme et puis, le reste qui étaient les vins de la campagne. D’ailleurs on disait d’un vin qui était rustique qu’il avait un goût de terroir.

Est-ce que ces vins étaient meilleurs ou moins bons qu’aujourd’hui ? A mon avis c’est une question qui n’a pas de sens, parce qu’aujourd’hui on goute des vins vieux qui ont été faits à cette époque, dans tous les types de vins de Bordeaux, les « rive droite » et les « rive gauche », les Sauternes…et en général on trouve cela délicieux. Aujourd’hui, c’est ce qui fait que Bordeaux est incomparable dans le Monde. Parce qu’à part la Bourgogne et l’Hermitage et puis la Rioja et peut-être le Barolo, aucune autre région n’a la capacité de présenter des vieux flacons à des amateurs en mesure de les payer une fortune et, en dehors de tout snobisme, de s’en régaler et de s’en extasier. Pour résumer le propos, est-ce que ces vins-là étaient meilleurs qu’aujourd’hui, c’est difficile de le dire. Les meilleurs d’entre eux restent des monuments aujourd’hui parce qu’ils ont défiés le temps. Mais la régularité dans ces productions n’avaient rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui et puis le nombre de ces crus étaient extrêmement limité.

Pour lire l'intégralité de l'entretien avec Denis Dubourdieu

[1] A. Julien, Topographie de tous les vignobles connus, 1e édition, imprimerie Huzard, Paris 1916, réédition de la 5e édition, Champion – Slatkine, Paris – Genève, 1985

[2] D. Markham Jr., Histoire d’un classement des vins de Bordeaux, Bordeaux, Féret, 1997

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